Michel Lanne en a rêvé pendant de nombreux mois et peut-être même depuis quelques années de cette traversée des Aravis.
Des jours et des heures de repérage minutieux, réalisant la traversée d’abord par sections pour bien visualiser les passages et les difficultés.
Une ligne de crête magnifique, sur un fil rocheux aussi solide que fragile, où il faut jouer à l’équilibriste et où l’on n’a pas droit à l’erreur !
Un projet qu’il juge même « irréalisable », mais auquel il croit malgré « les doutes et les désillusions » comme il le rapporte sur son compte Instagram en ce début de mois de septembre.
Fort de son expérience de guide de haute montagne, Michel*** s’est élancé le lundi 29 août dernier du parking de Romme sur Cluses pour cette traversée que seul Paul Bonhomme avait réalisé par le passé*.
Après 22h50 passé en montagne sur ce fil d’Ariane, il est arrivé au parking de la Savatte au Bouchet Mont-Charvin, fin de son périple d’environ 50 km pour 7 300 m D+ et d’une succession d’environ 30 sommets, lorsque l’on cumule les sommets référencés et les antécimes.
Il revient pour Trails Endurance Mag sur ce défi**.
L’histoire de cette traversée, c’est une envie qui est née en 2014, date à laquelle je me suis installé sur Annecy.
J’ai commencé à arpenter les Aravis et je suis vraiment tombé amoureux de ce massif.
Je m’entraînais beaucoup dans ces combes, été comme hiver, et j’aimais m’aventurer hors des sentiers classiques, en partant à la découverte de ces magnifiques arêtes.
Quand on regarde les Aravis, c’est une chaîne de montagne tracée au cordeau, rectiligne, avec tous ces sommets autour des 2500 m d’altitude qui s’enchaînent les uns après les autres. Cette ligne logique et majestueuse m’a tout de suite sauté aux yeux. J’ai commencé à arpenter ces arêtes en restant sur le fil, et je me suis vite rendu compte que c’était un terrain très sauvage, parfois en parfait calcaire blanc typique des Aravis, parfois en rocher beaucoup plus délité et douteux…
« On se rend vite compte de l’ampleur du chantier » Michel Lanne
Certaines fois, il me fallait la journée pour traverser un seul sommet.
Et je rentrais à la maison avec cette envie décuplée de retourner sur les sommets voisins et tenter de trouver une façon de rester sur le fil, en mixant escalade et course à pieds.
A partir de 2021 et la fin de ma carrière de coureur, j’ai vraiment axé mes sorties dans cette direction. Partir baskets aux pieds, une corde, un baudrier et quelques pitons dans le sac au cas où, à la découverte de ces itinéraires sauvages dont il n’existe aucune info sur le net ou dans les livres. Seuls les locaux et les plus curieux s’aventurent dans ce genre de terrain très spécial, où l’engagement est très marqué et permanent.
Il y a 4 ans, je suis tombé sur une vidéo de Paul Bonhomme, qui est guide de haute montagne, comme moi. Il avait mis environ 32h pour traverser les Aravis, en restant sur le fil des crêtes, et en dormant un peu au col des Aravis.
Quand on connaît l’endurance de ce garçon, son engagement et sa technicité dans ce genre de terrain.
On se rend vite compte de l’ampleur du chantier !!!
« Cette traversée, ce n’est pas du trail running »
Cela dit, à ma connaissance et en fouinant sur le net et auprès des amoureux des Aravis, personne n’a jamais fait mieux que lui !
A partir de là, j’ai poursuivi ma quête d’aventure sur ces sommets envoûtants, sans prétention aucun, si ce n’est le plaisir de partir la journée à l’inconnu, sans le seul but de nourrir ma passion et ma soif d’aventure.
Petit à petit, années après années, je me suis amélioré dans ce genre de terrain, même si l’engagement reste le même. Attention, il ne faut pas prendre cette traversée pour du trail running. Il s’agit plus exactement d’un mix entre randonnée, escalade, alpinisme et trail, avec beaucoup d’engagement.
Le chrono de Paul me paraissait toujours autant incroyable, mais j’ai commencé à imaginer que je pouvais m’en approcher. Traverser intégralement les Aravis par les crêtes et d’une seule traite, est devenu mon rêve ultime, mon obsession.
C’est tout simplement ce que j’aime le plus faire, l’endroit où je me sens complètement moi, libre et en équilibre.
J’ai alors repéré chaque portion du parcours, pour minimiser les risques au maximum.
Aussi, il me paraissait impensable de tenter cette traversée à plusieurs, par rapport au risque de chutes de pierres, et à l’engagement que cela représente.
En papotant de ce projet avec mes amis proches, ils ont tout de suite accepté de m’accompagner en me ravitaillant à certains endroits, en m’accompagnant sur certaines portions moins engagées, ou en m’assurant dans certaines parties d’escalade en 6, que je ne voulais pas grimper en solo !
22h50, 50 km, 7300 m D+ et 30 sommets plus tard…
Lundi 29 août 2022, je suis parti à minuit de Romme sur Cluses. Une heure plus tard, vers les chalets de Chérente, 3 patous m’ont empêché de passer et de monter directement vers le premier sommet, la Pointe d’Areu.
J’ai dû changer les plans en rejoignant d’abord la Pointe des Arbennes, traverser par une arête délitée pour aller chercher cette Pointe d’Areu, et revenir par cette même arête pourrie à la Pointe des Arbennes!
Ensuite, tout s’est déroulé parfaitement à travers la nuit. Les pointes longues et de Bella Cha sont des sommets particulièrement engagées, où le caillou est majoritairement délité et peu sûr…
« La faute ou le faux pas ne sont pas du tout permis »
De jour, ça ne donne déjà pas envie d’y aller. Mais seul et de nuit, c’est encore une autre histoire !
Mentalement, cette nuit a été très éprouvante, mais j’avançais vraiment bien et j’étais en confiance, serein, et je profitais pleinement de cette journée qui s’annonçait grandiose.
Je n’oublierai jamais le lever du jour en grimpant l’arête du doigt à la Pointe percée. Retrouver mes amis au sommet, vers 6h du matin, était incroyable!
Les sommets suivants présentent ensuite des difficultés élevées en escalade pure, mais le rocher est bien souvent meilleur. Excepté ce Mont Fleuri qui est particulièrement pourri et engagé. Un grand moment d’introspection et de concentration pour le franchir!
Ensuite, la progression reste engagée, mais beaucoup moins technique. La faute ou le faux pas ne sont pas du tout permis, il faut rester très concentré, surtout après une douzaine d’heures sans sommeil.
« Je ne suis pas champion du Monde, mais c’est ce qui anime ma passion et me rend heureux »
Après le col des Aravis et un super ravito express avec mes amis, il fallait repartir et les choses sérieuses n’étaient pas terminées.
D’abord l’ascension de l’arête de la Blonnière (ou arête à Marion) toujours en solo, et avec une certaine fatigue sur le dos!
Du bon rocher mais du bon 4sup quand même, qui demande de bien garder les yeux ouverts !
Ensuite le couloir Combaz à remonter, qui fait bien plus envie l’hiver quand il est rempli de neige.
La fantastique arête effilée de l’Etale, dont on aurait envie qu’elle fasse 10km !
Et ensuite une longue traversée en enchaînant les sommets, la Mandallaz, la Tête de l’Aulp, la Rouelle, la Goenne.
Le coucher de soleil était fantastique! Les lumières étaient juste folles.
Je ne sais pas combien de fois j’ai dû répéter que c’était magnifique, sûrement des centaines de fois…
La nuit est alors tombée, vers 21h.
La fatigue était énorme, et la concentration toujours aussi importante. Peu avant 22h, j’ai rejoint le sommet du Mont Charvin (2 409 m).
Nico Favre m’attendait là, il s’agit pour moi d’un des plus beaux sommets des Aravis, esthétique et emblématique…
Vers 23h, nous sommes redescendus au parking de la Savatte, épuisé mais tellement heureux d’avoir vécu une journée d’une richesse incroyable.
Le seul sommet non gravi est l’aiguille du Mont (que Paul Bonhomme avait réalisé), après le Mont Charvin.
Plusieurs raisons à cela, la grosse fatigue et l’engagement trop énorme pour se lancer dans ce sommet pourri, ultra incertain, en solo et de nuit.
Plus une fatigue mentale que physique
Quelques jours après l’aboutissement de ce challenge et un peu de repos, il analyse avec beaucoup de lucidité et de pragmatisme sa traversée.
Au-delà de l’aspect ultra endurance et de l’effort physique et de la technicité que représente cette traversée, le plus difficile à gérer, et qui change fondamentalement de l’ultra Trail, c’est cette fatigue psychologique liée à l’engagement et la prise de risque permanente.
Ce n’est pas du tout extrême, mais ça demande une vigilance de tous les instants, aucune faute de main ou de pied, ou une prise de main qui casse ne sont permis!
On n’est plus du tout sur du trail, on est sur de l’alpinisme facile, en solo, avec un certain engagement quand même.
Certains retiendront qu’il me manque un sommet. Je retiendrai juste cette formidable aventure montagnarde et humaine avec mes amis.
Certes, je n’ai pas gravi un sommet vierge et je ne suis pas champion du monde, mais ce genre de défi et d’aventure à deux pas de chez soi, ces moments de montagne et de partage avec ses amis, c’est exactement ce qui anime ma passion et me rend heureux .
Par Fred Bousseau – ©Robin Issartel et Fred Bousseau
* Paul Bonhomme, guide de haute montagne et spécialiste des pentes raides avec réaisé les 5 et 6 octobre 2017, la traversée depuis l’église de Cluses jusqu’au Bout du Lac à Doussard.
Une trace plus longue qu’il a parcouru en 37 h, (32 h uniquement dans le massif), empruntant aussi cet itinéraire très alpin et technique. LE FILM DE SA TRAVERSÉE ICI
** On parle de défi et non de record, il existe tant d’itinéraires dans le massif des Aravis que ce soit en haute montagne ou que sur les chemins qui sillonnent le massif et les combes.
*** Michel Lanne, originaire des Pyrénées (val d’Azun), affiche un joli palmarès en trail avec une victoire sur la CCC 2016, TDS 2017, 4ème Zegama, vainqueur 90 km du Mont-Blanc….
Il est aujourd’hui sauveteur au PGHM à Annecy, installé à côté de Thônes, papa de 2 enfants, il partage sa vie entre sa famille, son métier passion, ses sorties en montagnes et ses potes et réalise depuis début 2022 une web-série « @lafringale ».
Une page à suivre d’un spécialiste et grand connaisseur et amoureux des Aravis, François Lachaux : @Passy_Alpirunning
Commentaires désactivés