Barkley Marathons 2022

Barkley Marathons 2022

Pour Alexandre Ricaud, concurrent français de la Barkley Marathons, cette épreuve est un « monstre à Cinq Têtes » qui broie un a un ses prétendants. Cela s’est une nouvelle fois vérifié début mars. Aucun des 30 concurrents n’a pu terminer l’épreuve atypique, constitué de 5 tours de 12km à boucler en 60 heures maxium, et 20 000m D+. Le tout en autonomie, en orientation, sans aide technologique, dans une nature hostile… Témoignage de l’intéressé.


Par Killian Tanguy, © photos Alexis Berg


A lire en bas d’article : Un français gagnant de la Barkley Marathons 2023 !


Cette année, le départ de la course a été donné le 8 mars, et ils étaient environ une trentaine de coureurs à s’élancer. Parmi eux, trois Français : Alexandre Ricaud, Rémy Jégard et Guillaume Calmettes, et des grands noms du trail running comme Courtney Dauwalter (vainqueur de l’UTMB et de la Western States en 2021) ou encore John Kelly, dernier vainqueur de la course en 2017. 

Néanmoins, tous ont été vaincus : Alexandre Ricaud a terminé hors délai après le premier tour, Courtney Dauwalter et Rémy Jégard ont abandonné au milieu du 2e tour, et Guillaume Calmettes a été contraint à arrêter lors du 2e tour après que le vent ait fait envoler les pages de son livre…

5 concurrents ont réussi à faire la « fun run » (parcourir 3 boucles en moins de 40 heures) : l’Américain John Kelly n’est pas reparti, ne parvenant pas à se réchauffer après une nuit dehors dans des conditions météo difficiles ; le Néerlandais Thomas Dunkerbeck ainsi que l’Écossaise Jasmin Paris ont fini leur 3e tour en plus de 36 heures (39h27’46 et 39h49’56) ; le Néo-Zélandais Greig Hamilton ainsi que le Belge Karel Sabbe n’ont pas réussi à terminer le 4e tour. Le premier est arrivé au-delà de la barrière horaire, et le second s’est perdu, et a été ramené au camp de base en voiture, celle du shérif du comté voisin !

Le témoignage d’Alexandre Ricaud

LA COURSE

« La Barkley a commencé pour moi dans des conditions idéales. Il faisait doux, il ne pleuvait pas et nous sommes partis à 7h54 le matin, avec donc l’opportunité de faire (potentiellement) tout le parcours de jour. Ce qui est une aubaine pour un petit nouveau comme moi ! Au bout de 300m, nous avons eu droit à LA modification majeure de cette année. Une montée en pleine forêt, droit dans la pente. John Kelly et Courtney Dauwalter me doublent et je vois rapidement tous les élites s’envoler devant moi. Les deux autres tricolores mènent déjà bon train. Je me retrouve avec 2 ou 3 coureurs, à peu près au milieu du paquet je pense. On trouve le Book 1 facilement. C’est une satisfaction d’arracher ma toute première page d’un bouquin de la Barkley ! 

Je crois me rappeler que le titre improbable est “Great expectation” (“De grandes ambitions”). Après une longue section plate, inédite elle aussi, courue avec Richard, venu du Michigan, et Marina, lune jeune ultra traileuse allemande (qui au passage a hérité du dossard n°1 du “human sacrifice”), je décide de prendre un cap que je juge plus pertinent. Je ne veux pas suivre un coureur mais rester concentré sur ma carte.

Malgré mes premières glissades et gamelles dans ce chaos de feuilles et branches, ma navigation dans la première descente est parfaite et j’arrive seul, directement sur le Book 2. Je grimpe vers le Book 3 que je trouve facilement. J’y croise de nouveau Marina. Je suis un peu euphorique car mon plan se déroule sans accroc. Je jubile déjà à l’idée de boucler mon premier tour en moins de 13h20.

Je me vois déjà chambrer Laz avec son soi-disant ordinateur qui sort une phrase correspondant à ton profil. La mienne était : “Alexandre, le premier à terminer la première boucle…en 60 heures”. Je m’imaginais face à lui en lui disant : “Alors Laz, ton ordinateur s’est planté !”. Grave erreur…

S’ensuit la descente dite du “Hachoir à viande” vers le Book 4 où je rejoins Joshua (USA) visiblement un peu perdu et qui se met “dans ma roue”. J’arrive sans difficultés à l’endroit où doit se trouver le livre, et je retrouve Marina, déjà sur place, en train de “jardiner” comme on dit dans le jargon des orienteurs. On cherche, on se concerte, on sort le road book, mais impossible de trouver le livre avec la définition fantaisiste et alambiquée de Laz. Les autres coureurs sont des “virgins” comme moi et ne connaissent donc pas l’emplacement précis du livre. Du coup, le doute s’installe et on craint de ne pas être au bon endroit.

Je décide donc de continuer un peu en aval de la rivière. Marina et Josh me suivent mais au bout de quelques minutes je vois bien que nous nous égarons. Je reviens alors au point initial, convaincu que le livre doit se trouver là. Je cherche partout, et, miracle je trouve enfin le bouquin. Marina et Josh en profitent, ainsi qu’un groupe de 5 coureurs qui étaient derrière nous.  Dans l’histoire je pense que je perds malgré tout plus de 40 minutes. Et déjà un peu d’énergie.

De là, on repart direct pour la 3ème grimpette infernale où Josh et Marina me sèment. Je me retrouve de nouveau seul et j’atteins une petite falaise infranchissable. Un vrai mur de 4 m de haut. Je mets quelques minutes à trouver un passage escarpé mais qui permet de franchir l’obstacle tant bien que mal. Un peu avant d’arriver au sommet, les 5 retardataires rencontrés plus tôt me rattrapent. Parmi eux il y a Hiram, un local de Knoxville, pour qui c’est la 18e Barkley ! Nous ferons route ensemble sur le chemin qui serpente et nous amène au Book 6, à l’extrémité Nord Est du parc. Proche de ce point se trouve le premier ravito avec de l’eau uniquement. Par chance il ne gèle pas. Pendant que les 4 Américains semblent vouloir se reposer et pique-niquer, je repars rapidement avec Isobell l’Australienne. Je connais l’endroit et fonce tout droit vers le gros rocher caractéristique, point de départ de la descente très raide vers le book 7. Isobell est une vétéran, mais elle me suit. A l’endroit où doit se trouver le livre, on retrouve de nouveau Marina, Richard et Josh qui semblent chercher le bouquin depuis pas mal de temps.

La chance tourne car on les rencontre juste au moment où ils trouvent le livre à leurs pieds. Puis c’est reparti pour une nouvelle montée au pourcentage indécent. Je me retrouve de nouveau seul avec Isobell et on localise le Book 8 sans difficultés. Une nouvelle fois, Joshua et Marina sont en pleine séance de “jardinage” et on leur explique comment atteindre ce 8e livre. Puis c’est reparti pour une nouvelle descente en suivi de crête. A la fin de cette dernière, il faut prendre un cap avec la boussole. Isobell, Marina et Josh me suivent mais je commets là, ma première erreur de navigation dans la descente vers le bouquin près de la rivière. Encore une fois, on jardine, et on s’éloigne du Book 9. Je décide donc de faire demi-tour pour me recaler avec tout le petit groupe qui me suit de loin. Je retrouve alors le groupe des 4 Américains, laissés au pique-nique.

On échange un peu, on relit le road book, je regarde autour de moi et en fait nous sommes exactement à l’emplacement du 9e livre. L’interprétation du road book était une nouvelle fois loin d’être évidente. De nouveau, je crie à Josh et Marina, un peu plus loin, que j’ai trouvé la page. Je pense de nouveau avoir perdu une heure dans ce secteur.


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La montée suivante, une des pires pour moi, signe le début de mon calvaire. Dans l’euphorie de la mi-course, je n’ai pas pris le temps de m’alimenter correctement. J’ai un gros coup de mou qui me force à ralentir et à laisser partir le « grupetto ». Je dois faire une pause, puis une deuxième, pour m’alimenter et retrouver des forces. Cette ascension inédite et directe vers la Look out Tower me brise le moral. Je parviens malgré tout à trouver le Book 10 très facilement et rejoins le sommet  tout proche, de Frozen Head vers 18h,  après 10h de course. C’est le seul point de la Barkley où les accompagnants et médias sont autorisés à voir et encourager les coureurs.

Mais cela fait bien longtemps que les premiers sont passés, et il ne reste qu’une personne avec qui j’échange 2-3 mots. Pour des encouragements, il faudra attendre ! C’est donc au coucher du soleil que j’entame la descente mythique de Rat Jaw. Contrairement à d’habitude, les ronces n’ont pas été fauchées. Elles se dressent donc à hauteur d’homme, et il faut se frayer un passage dans ce dense labyrinthe d’épines.

Je descends plutôt fort et juste avant de rejoindre la prison de Brushy Mountains, je retrouve de nouveau le groupe des 4 Américains. Il commence à faire sombre et je m’équipe de ma frontale avant de m’engouffrer dans le tunnel sous le sordide pénitencier aujourd’hui désaffecté. C’est une rivière qui chemine dans ce boyau de pierres et il est impossible d’éviter de marcher dans l’eau glaciale.

Juste à la sortie du tunnel c’est le Book 11, à l’endroit précis où James Earl Ray, assassin de Martin Luther King, s’était évadé en 1977. Les Américains s’équipent eux-aussi de leurs frontales et on se dit alors qu’il ne reste plus “que” 2 montées avant l’arrivée. A 5, nous commençons donc l’ascension et de nouveau je dois rapidement ralentir et laisser le groupe de 4 s’éloigner lentement. Je me retrouve de nouveau seul avec un gros coup de “moins bien”. Je m’écroule au sol pendant au moins 5 minutes. K.O. avec le faisceau de ma frontale immobile, qui fixe le sol. Je grignote un peu et me remets debout. J’entrevois au loin les points lumineux du groupe et puis plus rien. Rien que l’obscurité et le silence autour de moi. Le pourcentage de pente est monstrueux et je parviens, malgré tout, péniblement au sommet.

Il faut alors chercher le Book 12 dans un rocher particulier mais il n’y a que des rochers partout ! Impossible de mettre la main sur la précieuse page alors que la pluie commence à tomber. Elle était, comme prévue, annoncée à 21h. Il est 21h. Il me manque donc une page. La descente vers le Book 13, puis la remontée vers le 14 dans la nuit, seul et avec la pluie, ne présagent rien de bon. Je juge le risque trop élevé et décide donc d’abandonner et de revenir au camp par un sentier de randonnée. 

Entre la course ou la vie, le choix est vite fait. J’envisage aussi un court instant de passer en mode survie comme mon ami Christophe Lemur en 2016 (je crois). J’ai mon kit avec moi mais je ne me sens pas de passer la nuit sous un rocher ou une grotte. Je repars donc avec comme objectifs de bien rester sur le sentier, ne pas me blesser et surtout avec en ligne de mire la douche chaude dans les sanitaires du petit camping.

Je ne peux plus courir mais juste marcher comme un zombi sur cette longue crête balayée par le vent et la pluie glaciale. Peu à peu toute ma tenue s’imbibe d’eau. Je suis congelé et limite en état d’hypothermie. Après cette interminable descente, je finis par enfin entrevoir les lumières de la maison des rangers.  La délivrance ! Quelques centaines de mètres plus loin, je retrouve Thibaud, mon neveu et assistant, à la Yellow Gate. Il est 23h et j’annonce tristement à Laz que je n’ai trouvé que 11 pages.

Après quelques mots de réconfort, Laz me dit alors qu’il a une petite musique pour moi. C’est la sonnerie aux morts avec le clairon. Chacun aura droit à la sienne cette année. C’est comme ça que s’achève ma Barkley après 15h d’effort ! »

LA PREPARATION

Barkley Marathons 2022 - Outdoor Edtions
© Alexis Berg

« Je m’y prépare en fait depuis 2016. Depuis 6 ans. Lors de ma première venue à Frozen Head comme caméraman, j’avais été fasciné par cette épreuve et aussi intrigué par le fait que seuls les coureurs pouvaient affronter ce que certains appellent le “monstre”.

À force de reportages et d’articles, on peut penser tout savoir sur la Barkley mais seuls les participants savent vraiment de quoi il en retourne. Laz le sait très bien. Il contrôle la communication de A à Z. Bref, à la fin de la Barkley 2016 je me suis dit “moi aussi j’aimerais courir la Barkley. Éprouver les mêmes sensations. Découvrir le “monstre”. Par contre, vu mon profil de coureur lambda et sans palmarès, je savais que ça allait être très compliqué pour être retenu dans les 40. D’autant plus que Laz reçoit aujourd’hui des milliers de candidatures. 

Du coup, j’ai choisi d'”importer” la Barkley, tout du moins le parcours, chez moi dans le Piémont Pyrénéen. Juste pour voir. Je connaissais bien la carte, le tracé, et j’ai procédé à un découpage méthodique tronçon par tronçon, pente par pente. Ensuite, sur une carte IGN j’ai conçu un enchaînement qui représente une copie quasi conforme du tracé de la Barkley avec beaucoup de forêt. J’ai appelé cette boucle le “Défi du cauchemar”. Le tracé réalisé, je n’avais plus qu’à m’y atteler pour me tester. Les premières fois j’ai trouvé l’effort complètement anormal et vraiment brutal mais, petit à petit, j’y ai pris goût.

J’ai toujours aimé l’effort en montée. Pour le coup j’étais servi. Des entraînements de jour, je suis passé à ceux de nuit, tout seul en pleine forêt, avec carte boussole, plus un tracker outdoor uniquement pour ma sécurité. La navigation de jour, c’est simple. Mais de nuit, si tu rajoutes du brouillard, tout se complique très vite. Les premières fois, tu te perds souvent car tes repères visuels sont faussés. Tu développes alors d’autres capacités. Tu apprends aussi à rester calme et ne pas paniquer. Il faut aussi surmonter cette peur primale d’être seul, dans le noir, au milieu de la forêt et des bruits d’animaux. 

Je crois que l’organisation globale est très personnelle et dépend de l’objectif que tu te fixes. On dit souvent que la Barkley est un problème à résoudre avec plusieurs paramètres. C’est ce que je pense aussi. Il y a des paramètres que tu ne peux pas maîtriser comme l’heure de départ et la météo mais tu peux, au moins, t’y préparer le mieux possible. Il y a donc deux phases. La préparation avant-course puis la course en elle-même.

Il faut aussi te fixer un objectif (un tour, deux tours,…) y associer une stratégie (suivre des coureurs ? être autonome ?) et ensuite adapter ta préparation en conséquence.

Mes objectifs étaient les suivants :

  • 1 – Être en capacité de trouver tous les bouquins, tout seul.
  • 2 – Terminer la loop 1 en moins de 13h20
  • 3 – Repartir sur la boucle 2
  • 4 – En cas d’échec sur les 3 premiers objectifs, revenir au camp de manière autonome.

Tout ça peut sembler peu ambitieux mais, vu mon profil de sportif de 49 ans ça me paraissait atteignable, réaliste. 

Pour atteindre ces objectifs j’ai travaillé la dimension physique (running, vélotaf, vélo, D+, forêt,…), mais qui est loin d’être suffisante sur la Barkley. Laz adore faire venir des champions de marathon ou d’autres disciplines en sachant qu’ils vont être très surpris.

Je voulais pour ma part repousser au maximum l’effet de surprise. Je pratique l’orientation depuis des années à travers le raid multisport et, pour être totalement autonome, j’ai beaucoup misé sur la navigation de deux manières.  La première c’est en travaillant spécifiquement sur la carte de Frozen Head en 2D avec la carte papier, et en 3D avec Google Earth et un relief imprimé en trois dimensions. La deuxième c’est en travaillant la navigation, de jour et de nuit, dans différentes conditions météo, sur mes parcours forestiers pyrénéens.

Un autre point essentiel c’est bien évidemment le matériel au sens large. C’est à dire tout ce que tu vas trimballer avec toi. Tout ce matériel doit assurer : ton alimentation, ton hydratation, ta progression sur le terrain, ta navigation, ta résistance aux conditions climatiques (dans ce coin du Tennessee la température peut varier de +25 à -15°C en seulement quelques heures), aux agressions de la forêt, ton éclairage dans la nuit sans oublier ta survie éventuelle. Je remercie au passage mon sponsor Mizuno pour la qualité de tout l’équipement fourni.

Comme la Barkley compte beaucoup de dénivelé il faut optimiser le poids au maximum. Il faut alors faire des compromis. Je connais bien ce sujet pour travailler dans l’aéronautique. Tu dois faire aussi faire le choix de doubler ou pas du matériel (boussole, carte,…) pour compenser une perte éventuelle, très fréquente sur la Barkley.

Les pentes en forêt allant jusqu’à 45%, il faut des chaussures avec du très bon grip. De mon côté j’ai aussi très vite opté pour une paire de bâtons en carbone. Je suis devenu une espèce de quadrupède. Je ne les range jamais. Les bâtons permettent de répartir la charge sur le haut du corps et de soulager les jambes. Ils apportent aussi beaucoup de stabilité latérale (dévers,..) tout en soulageant mes vieilles chevilles abîmées par les années.

Au fil des sorties, avec leurs lots d’inévitables gamelles en tout genre, je me suis construit une espèce d’armure de protection avec :

  • des chevillières
  • des guêtres contre les ronces et de la mousse protège tibia contre les chocs
  • des gants longs ou mitaines pour éviter les épines et le frottement des bâtons
  • des lunettes pour éviter les branches dans les yeux
  • un casque de rugby qui me sert à la fois de “bonnet”, de protection contre les chocs, les retours de branches en tout genre et les lacérations de ronces.

Comme un sanglier, je peux alors traverser quasiment tous les obstacles que dresse la forêt. Mon matériel de base comporte également un kit de premier secours et de survie (couverture de survie, sifflet,…)

L’alimentation et l’hydratation sont elles aussi essentielles dans une configuration “effort long” sachant que tu dois tout porter. Seuls deux point d’eau sont disponibles sur la boucle. Le matériel doit bien évidemment être adapté pour des conditions de pluie et de froid, tout en étant résistant aux agressions diverses de la forêt.

Bien entendu, pour la nuit, tu dois avoir une frontale extrêmement fiable en anticipant une panne éventuelle qui peut pourrait être critique une fois dans le noir de la Barkley.

Autre élément qu’on peut sous-estimer dans un environnement forestier c’est la perte de matériel comme la boussole, la carte, sans oublier les pages ! Aussi fort que tu sois, si tu perds une seule page, la Barkley c’est terminé pour toi !  Cette année encore, de grands champions en ont fait les frais.

Personnellement j’ai testé pas mal de chose en 6 ans pour arriver à ce que j’estime être mon optimum performance/confort/sécurité. Ta sécurité doit demeurer l’élément majeur car il faut rappeler que tu n’as droit à aucun appareil électronique. Ni téléphone, ni GPS, ni tracker. Tu es donc livré à toi-même. En cas de problème les secours peuvent mettre de très longues heures à te localiser surtout si tu t’es perdu et éloigné de parcours imposé. C’est à toi, et toi seul, de fixer tes limites et d’assumer tes choix. Une course de ce type est inconcevable en France mais t’oblige à une vigilance extrême. Il faut accepter ce risque et le gérer. 

Il faut également, je crois, t’élancer avec un plan en tête mais surtout être en capacité de t’adapter en permanence. La probabilité que ta feuille de route ne se déroule pas comme tu le souhaites est très élevée sur ce type d’épreuve. 

Tout cela combiné fait que, quand tu pars dans le Tennessee à cette époque de l’année, tu es obligé de prévoir une vaste panoplie de matériel. Pour les non-américains, tout est aussi plus compliqué car il faut gérer le voyage en avion et la logistique sur place. Le voyage est toujours stressant car ton test antigénique peut se révéler positif la veille du départ, ta demande d’ESTA pour rentrer sur le sol américain peut être refusée ou bien tes valises peuvent se perdre comme ça a été mon cas.

En revanche, une fois arrivé sur place, pour moi c’était plus facile car je connaissais les lieux et les petites astuces apprises avec Rémy Jégard et Benoît Laval de 2016 à 2018. Disons que j’ai mes petites habitudes dans le Tennessee !

Cette année, j’ai fait en sorte d’arriver un peu plus tôt pour finir de reconnaître les chemins autorisés. Le but étant de faire une connexion visuelle de l’environnement et du relief avec la carte. Ça m’a beaucoup aidé. Et pour la première fois je suis venu avec un “crew” (assistant) à savoir mon neveu Thibaud. Il a aussi fait quelques prises de vue avec sa caméra sur place.

C’est Hugo Clément, un jeune et talentueux cinéaste toulousain qui va réaliser un documentaire de 24mn. Nous associons à cette production vidéo une collecte de dons pour l’association Oz’moov. Elle oeuvre pour permettre à des jeunes et adultes handicapés de pouvoir courir avec une lame de course en carbone (+ d’infos sur www.ozmoov.org). Notre objectif est double : récolter 6.000€ pour financer 3 lames en carbone et changer le regard sur le handicap. Pour l’anecdote, en 2018, j’avais vu sur place l’américaine Amy Palmiero, amputée d’une jambe et finisher du Marathon des sables se lancer sur la Barkley. »

POURQUOI CETTE COURSE

« En 2015 j’ai découvert la Barkley en suivant Rémy Jégard sur les réseaux sociaux. Tout de suite ça m’a intrigué et je me suis renseigné sur le net. Mais très rapidement j’ai constaté que tout était flou, mystérieux voire anormal. Depuis 2013 j’étais devenu vidéaste outdoor, un peu par hasard, et en 2016, un concours de circonstances m’a conduit à venir filmer Rémy à Frozen Head. J’ai tout de suite été fasciné par tout ce que j’ai vu et vécu sur place : la rencontre avec Laz et les autres coureurs dont les Français, la découverte des lieux, ce côté post-apocalyptique à la Mad Max sans oublier l’arrivée historique de Jared Campbell qui termine sa 3e Barkley. On mesure mal l’exploit humain que cela représente. Je n’avais jamais vécu d’aussi près des moments sportifs d’une telle intensité et je me suis pris à rêver de devenir, moi aussi, un jour, coureur de Barkley.

Ce qui m’a attiré le plus c’est de voir beaucoup de coureurs terrifiés de ce qu’ils avaient vécu. Certains, malgré un très bon chrono sur la Loop 1, ne voulait en aucun cas repartir là-bas. Ça peut paraître absurde mais, moi aussi, je voulais découvrir et goûter l’envers du décor. Un cycliste peut rêver de participer au Tour de France, un rugbyman jouer contre les All blacks, moi je ne rêvais que d’une chose : participer à la Barkley.

La suite fût un chemin de croix qui serait trop long à raconter, mais 6 ans plus tard, ce mardi 8 mars 2022 à 7h54, je prenais enfin le départ à la Yellow Gate au moment où Laz allumait sa clope. »

LAZ ET SA COURSE

« Pour moi le mot qui illustre Laz c’est “innovation”. Que ce soit avec la Barkley ou aujourd’hui avec le succès planétaire de la Backyard, Lazarus Lake innove sans cesse depuis plus de 30 ans. Ses épreuves représentent des anomalies dans le paysage de la course à pied mais elles ont leur public.  Elles sont même devenues mythiques. Et je comprends qu’on puisse les aimer ou les détester.

La Barkley reprend son chef d’oeuvre et je la résumerai par un seul mot : monstrueux. Gary Cantrell (alias Laz) a généré un monstre. C’est d’ailleurs curieux comme on désigne la Barkley comme une entité propre. On dit bien “La Barkley a encore gagné” quand aucun concurrent ne termine les 5 tours.Laz a donc enfanté un monstre à partir d’une zone géographique assez banale mais avec des règles de jeu diaboliques. Il fait renaître le monstre une fois par an et lui donne en pâture 40 hommes et femmes, fiers et heureux d’être là !

Cette créature fantastique mesure 200 km de long et 20.000m de haut. Elle évolue sur un territoire de 10× 10 km pendant 60h maximum. Ce cerbère à 5 têtes. Une par boucle. Son objectif est de protéger la Yellow gate et d’empêcher à tout prix les participants de la toucher 5 fois. Une fois le monstre réveillé au son d’une conque, il devient incontrôlable et peut faire abattre pluie, froid, brouillard et chaleur à tout moment. Il sait aussi provoquer des hallucinations si besoin. La première et la deuxième tête ne font en général qu’une bouchée d’une trentaine de coureurs.  Une véritable hécatombe. La poignée de rescapés tente en général en vain d’échapper au 3 dernières. Très rarement, tel David contre Goliath, un coureur parvient miraculeusement et au terme d’un effort surhumain à terrasser la bête.  Jusqu’à ce qu’elle renaisse de ses cendres à la fin du printemps suivant, impatient de dévorer de nouvelles proies. Il n’y avait que Laz pour imaginer une course pareille et sublimer la notion d’échec, en créant une course à la limite de ce qui est humainement faisable. »

UNE AUTRE PARTICIPATION ?

« Je n’ai pas atteint l’objectif que je m’étais fixé et c’est donc une déception et une frustration. C’est assez classique sur la Barkley car elle est conçue pour briser tes rêves. Avant de quitter les lieux, Laz n’a d’ailleurs pas manqué de me chambrer une nouvelle fois en me demandant si je me sentais toujours de faire 5 tours à l’avenir. Terminer la Barkley est bien sûr hors d’atteinte pour moi mais avec l’expérience acquise cette année je me crois capable d’atteindre mon objectif initial. L’espoir fait vivre, comme on dit !  D’autant plus que, de jour et sans brouillard (je sais, ça fait beaucoup de conditions !), je suis maintenant en mesure de faire la boucle dans le sens horaire sans sortir la carte une seule fois. Néanmoins, désormais je connais tout l’investissement familial, physique et mental, loin d’être négligeable, que nécessite la Barkley. Dans tous les cas c’est et cela restera une épreuve qui m’aura marqué à vie. Le rire de Laz, la forêt de Frozen Head et la prison de Brushy Mountain n’ont pas fini de hanter mes nuits. Je n’aspire aujourd’hui qu’à reprendre une vie normale. »

Alors, Qui pour se jeter dans la gueule du monstre en 2024

Un français gagnant de la Barkley Marathons 2023 !

juillet, 2024

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