Il y a un mois, Erick Basset venait à bout de l’Iditarod Trail Invitational 1000, une course de 1 000 miles (1 609 kilomètres) en Alaska, aux États-Unis. Dans le froid polaire, il a tiré son traineau (appelé « Pulka ») pendant près de 28 jours (27 jours, 10 heures et 46 minutes), le tout, sans aide extérieure, hormis les quelques points de ravitaillement présents sur le parcours. Premier Français à l’avoir terminée, nous avons recueilli ses impressions.
Comment se préparer à cette course du point de vue de la distance ?
Depuis 2009 j’avais multiplié les Ultras-polaires,12 à ce jour (Canada, Alaska, Scandinavie…) dont la plus longue épreuve dans le grand froid était 650 kilomètres.
Au fond de moi, je suis persuadé que c’est le cumul de toutes ces courses qui m’a préparé à l’ITI 1000 miles. Sans ces expériences (on apprend aussi de ses erreurs) je n’aurai sans doute pas pu boucler ce parcours mythique.
Pour faire ces 1600 kms je m’appuie sur un calcul assez simple : En 30 jours, je vais devoir boucler « trois fois un format » que je connais déjà.
En effet, mon « objectif théorique » est de décomposer en trois tiers cette course et de tenir ces 53 kilomètres journaliers. Les anciens disent : « L’Iditarod n’est pas une course, c’est une aventure au jour le jour ». Sous cette latitude, la planification est hasardeuse, je m’y prépare donc « stratégiquement ». Je sais que pour une telle distance, il ne faudra surtout pas être pris dans le rythme frénétique de la 350 miles, mais avancer avec rigueur et méthode.
Comment se préparer à cette course du point de vue de la température ?
Je n’ai pas de préparation spécifique. Je ne cherche pas à m’entrainer dans le froid. J’ai une préparation en lien avec la médecine chinoise, je recherche entre autre à protéger mes reins du froid (l’énergie vitale). Alors non, je ne m’entraine pas dans une chambre froide et je ne prends pas de glaçon au petit déjeuner. Je suis Normand, pas un gaillard de montagnard et je l’assume.
Au besoin, il peut y avoir une semaine en montagne pour tester du matériel.
Les Alaskiens disent qu’il ne fait pas froid mais qu’il y a seulement de mauvais habits. Je me concentre donc à être le mieux équipé possible pour gérer des variations de températures allant de 0 degré à – 40. L’expérience m’apprend que le nombre de couches de textile portées et le choix des matières sont primordiales car attention aussi farfelu que cela peut paraître il ne faut ni avoir froid, ni avoir trop chaud !
Comment se préparer à cette course du point de vue de la logistique (eau, repas, sommeil) ?
La logistique sur ce genre de course est vitale donc elle doit être méticuleuse.
Avant tout, il faut définir la trace GPS à suivre (l’ITI est aussi une course d’orientation en autonomie). Nous avons quelques « check points » où nous pouvons nous ravitailler en eau et récupérer nos drop-bags. Au besoin, il faudra fabriquer de l’eau avec de la neige pour pouvoir préparer nos plats lyophilisés. Pour le sommeil, nous ne se sommes pas sur un classique Ultra où nous pouvons nous permettre d’aller jusqu’aux hallucinations avant de décider ou non de dormir. Dans cet environnement glacial ce serait suicidaire… Il faut donc encore et toujours s’organiser pour prévoir son sommeil journalier : dormir dehors, dans un refuge ou mieux dans un village. Encore une fois cette logistique demande de la rigueur, tout votre matériel doit être accessible dans un ordre logique. En effet, il faut comprendre qu’une Pulka n’est pas un sac à dos « fourre-tout » où l’on doit tout sortir pour trouver les piles de rechange de sa frontale. Ma devise est assez simple : Une Pulka bien rangée, un esprit soulagé.
D’où vient cet attrait pour le froid ?
Après de nombreuses courses dans différents environnements, j’avais envie d’essayer autre chose, de sortir de ma zone de confort.
J’ai commencé les courses polaires en 2009 au Canada par la Rock & Ice (l’équivalent du MDS) et j’y ai découvert, l’autonomie logistique totale avec la Pulka, les Aurores Boréales, les Ice Road, les mers de Glace, le froid, le très grand froid et j’ai tout simplement adoré cet univers…
Quel plaisir retrouvez-vous à courir dans le froid ?
Avec une PULKA à tirer, je ne suis plus un Ultra Coureur mais un Ultra Randonneur. Courir ? Je n’y arrive pas ! Face à cette adversité hors du commun, marcher dans ces endroits aussi hostiles qu’époustouflants de beauté me comble. C’est l’environnement qui décide et les valeurs sont simples : Humilité, patience, persévérance et…espérance.
Comment vous y préparez-vous ?
Physiquement, ma base sera acquise à partir du moment où je peux gérer sans fatigue une marche de 8 heures et finir en courant les deux dernières heures. Des sorties de 70 kilomètres en dix heures sur les plages et le bocage Normand seront le révélateur de mon état de forme ; Mon régime alimentaire ? Je n’en ai pas, je n’y arrive pas. Mentalement, ma pratique au quotidien des Makko- ho (les étirements des méridiens) et mes exercices de respiration me permettent de gérer ma fatigue « physiologico-physico-mentale ». Je me prépare à être à l’écoute de mon corps. Plus que jamais, le mental et le physique ne font qu’Un.
Et pour la distance ? + la répartition des distances chaque jour ?
Je suis anti-compétition et anti record, je veux juste finir ces 1600 kilomètres dans les 30 jours autorisés par la course. Le calcul est donc simple 53,3 kilomètres par jour suffiront ! En fait, en théorie la répartition des distances journalières est définie par rapport aux possibilités de dormir avec le plus de confort possible (village, refuge, tente, ciel ouvert…) Donc, une journée va de 16 heures à 24 heures de marche selon possibilités physiques et météorologiques !
La course a duré près d’un mois. À quoi avez-vous pensé ? Ne se sent-ont pas seul à certains moments ?
Se sentir seul ? Oui bien sûr on se sent seul. Mais traverser l’Alaska, suivre à pieds les traces de l’Iditarod et arriver à Nome sans gelures, sans trop de « bobo » je peux vous dire que ça motive et ça occupe bien la tête de savoir comment on va y arriver. Vos journées sont rythmées par la logistique, votre concentration est optimale. Il faut se protéger, s’alimenter, s’orienter, s’organiser, se ménager, bref subsister…
Alors oui je pense énormément… Mais pour m’évader de toute cette logistique, comme des petites récréations je pense à mon petit loulou, à mes proches…Plus j’avance, plus je suis sur le retour !
Une fois que l’on a réalisé cette course, comment repart-on sur de nouveaux objectifs ? Lesquels sont-ils ?
L’ITI était un Graal…que je pensais inaccessible. J’ai pris le temps d’acquérir suffisamment d’expérience pour me présenter au départ. Aujourd’hui, j’ai réussi à traverser l’Alaska dans une course unique, j’en suis pleinement comblé, mon objectif est atteint. Repartir ? En fait, je pense qu’il ne faut pas banaliser l’exploit, il faut le rendre rare et en profiter…
Par Kilian Tanguy – Photo Erick Basset
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